Guignol au pays du gaz de schiste

                    



Guignol au pays du gaz de schiste

C'est un exploit bien de chez nous. Le gaz de schiste, dossier susceptible de passionner les seuls ingénieurs des Mines (et encore les plus dépressifs), est devenu une saga du plus haut comique. Du début - mars 2010 - jusqu'à son épilogue annoncé - octobre - ce fut un festival de tartes à la crème.
Rappelons le scénario de départ fondé sur une question légitime : faut-il oui ou non explorer le sous-sol français à la recherche d'huile et de gaz de schiste ? Dans nombre de pays, c'est aujourd'hui la ruée vers ces hydrocarbures, considérés par certains comme un eldorado. Mais leur extraction, "non conventionnelle" dans la mesure où les carottages classiques sont inefficaces, est coûteuse et représente un risque environnemental élevé. Pour les libérer de la roche où ils sont emprisonnés, il faut fracturer le schiste à plus de 1 500 mètres de profondeur en injectant, à de fortes pressions, de l'eau mélangée à du sable et à des adjuvants chimiques, avec le risque de polluer les nappes phréatiques. C'est la fracturation hydraulique. Aux Etats-Unis, des accidents ont conduit à la contamination de l'eau au robinet, et des forages ont dévasté les paysages de certains Etats.
Le chantier doit donc être manié avec précaution, surtout en France, où l'écologie dispose de vaillantes sentinelles. D'un côté l'espoir de baisser notre facture énergétique - 45 milliards d'euros en 2010 pour les importations de pétrole et de gaz. De l'autre un possible cauchemar environnemental si l'exploitation des réserves annoncées - parmi les plus importantes d'Europe - ravageait les territoires. En clair, seuls le dialogue et la transparence pouvaient permettre d'avancer et laisser ouvert le droit à l'expérimentation.
Las ! Ce fut plutôt du "grand guignol", comme le dit François-Michel Gonnot, député UMP de l'Oise. De son côté, Jean-Paul Chanteguet, député PS de l'Indre, évoque "les pieds de nez et les pirouettes" qui ont fini par "décrédibiliser les politiques".
Jean-Louis Borloo est le premier à ouvrir ce bal burlesque. En mars 2010, ministre de l'écologie et de l'énergie, ses services accordent trois permis de recherche de gaz de schiste dans le sud de la France, au beau milieu du Parc national des Cévennes bientôt inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco ! Quand la bourde est mise au jour quelques mois plus tard, José Bové lance la rébellion contre ce "nouveau Larzac". Message reçu. Le 13 avril, la présidence de l'Assemblée nationale enregistre le dépôt d'une proposition de loi visant à abroger les permis délivrés. Son auteur ? Jean-Louis Borloo.
Au total, le gaz et l'huile de schiste vont donner lieu à sept propositions de loi (PPL). Du jamais-vu, selon ce haut fonctionnaire, sûr de voir le gaz de schiste devenir un futur sujet d'études dans les plus grandes écoles de la République.
Cette frénésie s'explique facilement. L'abstention record aux élections cantonales de mars 2011 a fait peur aux élus, empressés de montrer à leurs administrés qu'ils sont à leur écoute. Qui trouve-t-on alors en chef de file anti-huile et gaz de schiste au sein de la majorité ? Christian Jacob, député de Seine-et-Marne et président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, confronté à la grogne de ses électeurs contre les permis accordés dans le Bassin parisien. L'ancien jeune syndicaliste agricole se transforme du coup en chantre du principe de précaution, principe qu'il foulait aux pieds pour défendre la cause des OGM et des pesticides. Ubuesque.
Cette précipitation se traduit par des textes brouillons, juridiquement fragiles, car l'expertise est négligée. Deux missions avaient pourtant été diligentées. Mais là encore, quelle comédie ! La première émane du ministère de l'énergie et du ministère de l'écologie. Un rapport d'étape est réalisé mi-avril. Inutile d'attendre le rapport final, il ne verra jamais le jour. Trop tard, en effet ! Entre-temps, la loi qui interdit la fracturation hydraulique pour "l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux" a été votée le 13 juillet. La cellule est mise en veille, mais avec de nouveaux experts.
La seconde mission, parlementaire, est pilotée par François-Michel Gonnot et Philippe Martin, député PS du Gers. Ses travaux sont achevés le 8 juin. Il s'agit de labourer le terrain avant l'écriture d'un texte de loi. Pschitt, là encore. Le 30 mars, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, a déposé une proposition de loi pour abroger les permis. Parmi les députés qui la soutiennent figure Philippe Martin.
Le bouquet final ne décevra pas. Nicolas Sarkozy, en visite le mardi 4 octobre dans le Gard, confirme l'abrogation de trois permis (sur 64), après avoir rendu hommage à l'esprit de résistance des Cévenols, les mêmes qui ont sonné la révolte contre les permis attribués par son gouvernement. Total est l'un des industriels sanctionnés, alors qu'il répète haut et fort ne pas vouloir utiliser la fracturation hydraulique. Qui vient au secours du géant pétrolier ? José Bové, ennemi juré de la multinationale, qui ne comprend pas ce traitement "discriminatoire".
Ira-t-on au contentieux ? Possible. Mais gardons le sourire : la réforme du code minier, par laquelle le feuilleton gaz de schiste aurait dû commencer, va être lancée cet hiver. Il devrait même y avoir un "mini Grenelle", afin de consulter tous les acteurs concernés par l'exploitation des richesses du sous-sol français.